Seul et avec vous (ou la vie de Benjamin Alenvers)
8 May 2019

Nantes,  2013 – …

Aussi proches d’un point de vue de la temporalité qu’éloignés en terme d’émotion, deux évènements majeurs changèrent mon rapport à la photographie. Le premier eut lieu en devenant père. Dès lors, je mis de côté toute aspiration artistique, ambition liée à l’ego et ce, pour une durée inconnue. Je répondis ainsi uniquement à des commandes privées et institutionnelles. Guidé tant par la curiosité que par pragmatisme, je goûtais à cette nouvelle posture qui consistait à jouer un rôle nouveau au sein d’une troupe de théâtre déjà constituée. Réciter le texte que l’on vous a attribué sans déroger au genre et à ses codes, au thème imposé. Désormais, il s’agissait d’être conscient de certaines réalités, se plier à des impératifs, être conciliant. Cela permit aussi de voir ce qui se passait autour de moi, les transformations qui s’opéraient. L’autre événement, brutal celui-là, mit en exergue les mutations personnelles engendrées et produites dans le schème précédent. Cet événement était la représentation fidèle et réelle de l’anéantissement de mes idéaux juvéniles. Je les savais menacés par les autres et par moi, subitement je les découvrais mortels à travers ces compagnons d’initiation allongés ce 7 janvier 2015. Ils étaient étendus et j’avais le sentiment de les avoir abandonnés. Aussi, dans un premier temps, l’organisme impuissant et paralysé face à ces corps se terre en silence. Puis petit à petit, l’abri se mue en un sas laissant présager d’autres espaces, une échappatoire, des luttes à venir. La parole se libère, les idéaux reviennent, la liberté de ton bâillonnée par les conventions et les codes est recouvrée. Emile Ajar se nommera Benjamin Alenvers. Il entrera sur la scène 2.0 et habitera un lieu imaginaire et connu à la fois. Il fréquentera des êtres, peut être des amis et vivra des évènements importants et bien réels, ceux-là mêmes qui rythment une vie, s’inscrivent dans une théâtralité contemporaine. La douce mélancolie d’hier fera place désormais à l’humour, au décalé, à la satire dirigée vers l’autre et vers soi. Dans l’affirmation de « je est un autre », d’une pensée surréaliste, nourrie de situationnisme, nous aurons respectivement l’un et l’autre un double bien vivant. Pourvus d’une pensée libertaire retrouvée mettant à mal toute forme d’égo, nous pourrions bien transformer ce sas en une salle de non-attente, un espace propice à une pensée libre, totale et désintéressée de toute représentation publique. L’avenir nous dira si cet espace est l’endroit idéal. Benjamin Alenvers s’est éteint sur Facebook l’année dernière. Sa mémoire perdure par le biais d’une expression artistique, la notre (?), à l’ombre des projecteurs et pour l’instant (et à jamais ?) uniquement sur ce site. (Benoit Arridiaux).