Petite Amazonie
8 May 2019

Nantes, 2013.

Carte blanche dans le cadre de la Quinzaine Photographique Nantaise (Qpn #17). Invitation à travailler sur le site préservé dit de la « Petite Amazonie » dans la quartier Malakoff à Nantes. Ce projet a été produit en partenariat avec la Fnac et le Cnam des Pays de la Loire.

Série réalisée avec le collectif bellavieza.Photographies de Gaëtan Chevrier , Benoit Arridiaux et Jérôme Blin.

La QPN a invité le collectif nantais bellavieza à travailler durant l’été 2013 sur le site préservé dit de la «Petite Amazonie». Situé au coeur de Nantes face à la cité Malakoff cet espace aurait pu constituer une sorte de conservatoire du biotope nantais originel, mais cette vision romantique ne tient pas bien longtemps, non plus que celle d’un îlot rendu à la nature et libéré de l’action humaine. L’espace se révèle au contraire complexe, c’est un fouillis végétal difficile à pénétrer et à décrypter, le secours du botaniste et de l’historien sont nécessaires pour lire ce paysage, y retrouver les traces laissées par l’histoire et l’industrie des hommes. Ce projet a été produit en partenariat avec la FNAC et le Cnam des Pays de la Loire dans le cadre de la Fête de la science. Le collectif bellavieza a porté un regard sensible sur le site sauvage et protégé de la Petite Amazonie à Nantes. Dans ce marais urbain de 17 hectares, enclavé entre les voies de chemin de fer, prospèrent une faune et une flore à deux pas de la cité Malakoff. « Laissant dernière nous les traces urbaines, nous sommes entrés dans ce lieu paradoxal où le désordre naturel côtoie l’empreinte humaine. Immergés dans cette zone humide et marécageuse où la végétation se fait luxuriante, nous nous sommes laissés emporter par l’ambiance mystérieuse de ce lieu.» (Hervé Marchand).

Hervé Marchand est directeur de la Quinzaine Photographique Nantaise

Des Mauves aux palmiers

En ce tout début d’été 1814, au petit matin du 24 juin, fermiers, métayers et ouvriers agricoles du bourg de Doulon et des environs empruntent venelles et chemins qui les conduisent sur les prairies de Mauves. Bientôt, depuis les remparts du château des ducs de Bretagne jusqu’aux falaises qui protègent le bourg de Mauves, s’élève une clameur laborieuse que le sifflement des faux effilées amplifient encore : la saison des foins a enfin commencé. En effet, cette année, la Loire a longuement paressé sur les prairies ; des témoins respectables affirment avoir vu nombre de mauves (fritillaires pintade) percer la « flotte » pour épanouir leurs corolles en damier. C’est ainsi, qu’un arrêté préfectoral, en date du 16 juillet 1814, fixera pour cette année là, l’ouverture des parcours et de la vaine pâture de la prairie de Mauves dans toute son étendue, qu’à partir du 1er août. Depuis la fin 18è, courant 19è siècle, le paysan s’est peu à peu éloigné des remparts, la prairie a été en partie comblée, fractionnée pour y installer maisons, usines, routes et voies de chemins de fer. Le train, fait son entrée à Nantes le 17 août 1851. À l’aube du 20è siècle, au contactdu canal Saint-Félix, les prairies de Mauves ont pratiquement disparu, seules subsistent des portions de prairies et fractions d’un cours d’eau (étier de Mauves), le tout enchâssé, emprisonné entre les voies de chemins de fer. L’exploitation des prairies est devenue précaire, mais subsiste encore. Les bombardements intensifs de 1944 vont bouleverser, creuser, remanier le sol de cette prairie close. Les cratères, tout au moins ceux qui n’ont pas été rebouchés, vont se remplir d’eau, et leurs lèvres de terre remuée se couvrir d’une flore hygrophile où les saules, bientôt, seront maîtres à bord. L’ordre de la nature reprend ses droits, faisant ainsi suite au désordre des hommes. Dans certains endroits, selon qu’ils aient été un peu plus épargnés ou que les trous aient été soigneusement rebouchés, la prairie refait peu à peu son apparition. Une reprise d’exploitation est alors visible durant quelques temps, puis s’interrompt. Dès 1956, l’embrouillement devient perceptible : l’homme a définitivement abandonné la partie, il n’est plus question de prairie de Mauves en ces lieux. Une aire nouvelle s’annonce, des tours s’élèvent brusquement au-dessus des voies de chemin de fer : Malakoff est né ! A l’aube des années 1970, le fonctionnement hydraulique de ce petit territoire ceint de muraille de ballast, semble se modifier et tend à devenir plus humide : on parle alors du marais de Malakoff. Dans les années 1980, un projet de construction de route en direction du centre de Nantes se concrétise par l’amoncellement de milliers de mètres cubes de roches et cailloux au beau milieu de la grande parcelle. Cette nouvelle situation provoque l’évolution d’une partie de ce qui subsistait encore de la prairie en un magnifique marais peuplé de grandes herbacées hygrophiles – laîches, roseaux et joncs. Ce no man’s land suscite moult projets dans l’esprit de décideurs et acteurs locaux. Finalement, au début des années 1990, à l’initiative de Jean-Claude Demaure, adjoint au maire chargé de l’environnement à la Mairie de Nantes et sous la houlette de Claude Figureau, directeur du jardin des Plantes de Nantes, la zone devient un laboratoire vivant où l’on étudie l’évolution de la végétation. Des inventaires sont réalisés, on découvre alors que la flore et la faune y sont fort diversifiées : des mesures de protection s’imposent ! D’ailleurs, c’est au cours de l’une des « expéditions » dans ces marais impénétrables, où seule la machette nous permis de progresser, que l’on aperçut dans une trouée, au milieu des saules, une petite population de jeunes palmiers. Et l’un de nous, de s’exclamer, mais on dirait l’Amazonie ici ! Dès lors, le marais de Malakoff sombra dans l’oubli, et, aujourd’hui, seule la Petite Amazonie s’impose naturellement à notre esprit. D’abord reconnue comme Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, faunistique et floristique (ZNIEF), on dut attendre 2005 et une seconde étude écologique réalisée dans le cadre du projet de revalorisation du quartier Malakoff (Grand Projet Ville – GPV) pour la petite Amazonie soit intégrée dans le réseau des zones protégées au niveau européen (Réseau Natura 2000). Un plan de gestion a été mis en place visant à maintenir et à favoriser la biodiversité (espèces, habitats). Ainsi, là où cela était possible, la prairie, a été restaurée. Des clôtures ont été dressées pour permettre l’accueil de vaches écossaises dont la mission est d’entretenir la prairie. Compte-tenu de la fragilité du milieu, seules des visites en nombre limité sont organisées pour le public par la LPO. (Ligue de Protection des Oiseaux) et le SEVE (Services des espaces verts et de l’environnement de la Ville de Nantes). Quant à l’entretien et au suivi botanique de la petite Amazonie, ceux-ci ont été confiés au SEVE par Nantes Métropole. Chut, entendez-vous encore cette clameur des hommes d’hier, et le sifflement de leurs faux effilées ? Le chant des mauves résonne encore dans la prairie de la Petite Amazonie ! (Philippe Férard).

Philippe Férard est botaniste à la ville de Nantes.